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Le sanctuaire de Fesques

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Le sanctuaire de Fesques Empty Le sanctuaire de Fesques

Message par KAΛ Dim 17 Mar - 19:47

Le sanctuaire de Fesques

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Figure 1 : Photo du Mont du Val-aux-Moines où était situé le sanctuaire le Fesques. (E.Mantel, 1997)

Figure 2 : Carte IGN de Fesques et du Mont du Val-aux-Moines. (Géoportail)


Parmi les reliefs bordant l'une de ces vallées humides et argileuses si typique du Pays de Bray, se trouve une colline qui n'a pas l'air différente des autres. Pourtant elle cache de très anciens secrets.

Un sanctuaire celte se trouvait effectivement au sommet de cette colline, traditionnellement appelée le Mont du Val-aux-Moine.

C'était un sanctuaire rural qui fut utilisé du IIIe siècle av J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C. Il était formé de deux fossés parallèles, cernant toute la hauteur, et à l'intérieur desquelles il y avait un autre fossé de forme semi-ovale. Dans cette dernière enceinte, il y avait à l'origine un bâtiment cultuel en bois recouvrant plusieurs fosses rituelles situées autour d'une fosse principale. Ce bâtiment  fut remplacé par deux fana successifs au II e et au Ier siècle av. J.-C.
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Figure 3 : Plan archéologique du sanctuaire.(E.Mantel, 1997)
Figure 4 : Plan de l'aire sacrée.(E.Mantel, 1997)


Dans les fosses et fossés, on retrouve toutes sortes d'offrandes et de vestiges de sacrifices.
Dans les fossés extérieurs, les archéologues ont découvert quantité de pieds et de têtes de bovins, tandis que dans celui à l'intérieur, c'était des restes de porcs, une viande de meilleure qualité pour l'époque. Des banquets rituels ont donc souvent été organisé dans ces enceintes : Lors des grandes fêtes, les élites, la classe sacerdotale et peut être quelques chefs, se réunissaient et mangeaient  dans l'aire sacrée, au centre. Quant au peuple, il banquetait tout autour. Il fut retrouvé 3 chaudrons et des gobelets à boire, preuves définitives de ces fameux banquets.

Les restes des repas étaient offerts aux dieux. Mais on ne leur a pas offert que ça, bien évidemment. Tout autour du bâtiment religieux, dans la zone sacrée, ont été déposé nombre de monnaies, d'armes, de bijoux et de parures de toutes sortes : fibules, bracelets, perles, attaches de ceinture, ainsi que des jetons de jeux. Dans la fosse principale, il fut retrouvé 297 monnaies, dont la majorité provenait de la Cité de Limes de Bracquemont, près de Dieppe. Ces dépôts votifs devaient se rattacher à la traditionnelle pratique d'une offre d'un ex-voto en remerciement d'un voeu exaucé. Mais ils pouvaient aussi être des dépôts commémoratifs ou des impôts religieux pour entretenir les prêtres.
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Figure 5 : Reconstitution dessinée du sanctuaire de Gournay-sur-Aronde, au IIIe siècle av. J.-C. (S. Lathière, Le pays des chevelus)

Les vestiges de sacrifices les plus intriguant sont les fameuses paires de pieds humains que les archéologues ont déterré dans des fosses situées sur le pourtour de l'enceinte extérieur du sanctuaire. Que viennent faire ces paires de pieds ici ? Et pourquoi ?

En fait, au-dessus de ces fosses étaient installés des portiques (potence, croix, etc.) sur lesquelles étaient suspendus des corps de guerriers avec toutes leurs armes et équipements. Avec la décomposition des corps, les pieds se sont détachés et sont tombés dans la fosse, tout comme les armes, les os, ... Vu que le site n'a été que partiellement fouillé il est à supposer qu'il y ait eu une centaine de ces expositions macabres réparties autour du site, quasiment toutes tournées vers l'aire sacrée.

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Figure 6 : Paires de pieds retrouvées au sanctuaire de Fesques. (E.Mantel, 1997)
Figure 7 : Restes d'humains et d'animaux retrouvés dans le fossé extérieur. (E.Mantel, 1997)


Finalement, la grande question serait de savoir à qui appartenait ces pieds ? A des sacrifiés ? Le sujet fait débat. L'archéologue Jean-Louis Bruneaux suppose qu'ils s'agissaient de criminels condamnés à mort dans un lieu de rassemblement politique consacré à une divinité. Cependant, il est hautement probable que ces condamnés pouvaient également être des guerriers ennemis fait prisonniers durant une bataille, puis exécutés en l'honneur des dieux. La justice et la religion n'étaient pas dissociées : La condamnation à mort était aussi un sacrifice rituel, tout comme les guerriers morts sur le champ de bataille.

Ce qui est sûr et certains, c'est que les dépouilles étaient offertes à un dieu. Mais quel dieu ? Difficile de le savoir étant donné que l'on a retrouvé ni inscription, ni statue ou statuette sur le site. Les seuls indices que l'on ait se rapportent aux sacrifices et à la façon dont ces sacrifices ont été réalisés.

Et heureusement pour nous, la Pharsale, l'oeuvre de l'auteur romain Lucain, du Ier siècle, nous apporte de précieux renseignements. Dans cette oeuvre, Lucain nous parle déjà des sacrifices sanglant que l'on vouait à trois dieux celtes :

« Vous respirez en liberté (...) vous peuples, qui répandez le sang humain sur les autels de Teutatès, de Taranis, et d'Hésus, divinités plus cruelles que la Diane de Tauride ; vous recommencez vos chants, bardes, qui consacrez par des louanges immortelles la mémoire des hommes vaillants frappés dans les combats. Et vous, Druides, vous reprenez vos rites barbares, vos sanglants sacrifices que la guerre avait abolis. »
Lucain, La Pharsale, I, 445.

Un commentaire de l’œuvre de Lucain, conservé à Berne et écrit entre le IV e et IX e siècle, nous apporte davantage de précisions intéressantes malgré sa réalisation tardive :

« Ainsi est honoré Mercure Teutates chez les Gaulois : un homme est précipité tête en avant dans un tonneau plein afin qu'il suffoque. Esus Mars est honoré de cette façon : un homme est suspendu dans un arbre jusqu'à ce que son sang coule et que ses membres se détendent (ou se détachent). Taranis Dis Pater est honoré de cette façon : quelques hommes sont brûlés dans un baquet en bois. »
Scholies bernoises sur Lucain, La guerre civile.

Le dieu qui nous intéresse est donc ce fameux Esus, identifié à Mars, le dieu de la guerre romain. Les celtes lui auraient offert des victimes humaines en les suspendant dans des arbres, en les suppliciant, puis en laissant leur corps se décomposer pendant une longue période.
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Figure 8 : Pont-sanctuaire où sont exposés des restes d'animaux, du matériel guerrier et des cadavres d'humains sacrifiés. (www.artfilm.ch)

Au sanctuaire de Fesques, la suspension ne se faisait pas sur les arbres, mais au moyen de poteaux et de portiques. Mais qu'importe le support, le rite semble être le même. Ce témoignage de Jules César dans la Guerre des Gaules semble le confirmer :

« Les Germains qui avaient dévasté le territoire des Menapii, ayant été mis en déroute par César, les prisonniers le supplièrent de les garder auprès de lui de peur que les gaulois ne les mettent en croix ».
César, De Bello Gallico, IV, 15

César précise déjà que les victimes étaient généralement des malfaiteurs pris en flagrant délit de vol, de brigandages ou d'autres crimes. Et cela comprend les guerriers des armées ennemies qui partaient en raid sur d'autres territoires, à l'exemple des germains que l'on vient de voir. Tout ceci confirme donc l'hypothèse de Jean-Louis Bruneaux (et aussi la mienne;) ).

Mais César nous montre surtout ici que les celtes avaient un mode de mise à mort plus ou moins similaire au crucifiement des romains. Toutefois, chez les celtes, le condamné ne mourait pas d'asphyxie mais d'une hémorragie : On lui portait un ou plusieurs coups qui le faisaient saigner à mort.
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Figure 9 : Exposition de cadavres de guerriers morts au combat dans le sanctuaire de Ribemont-sur-Ancre, au IIIe siècle av. J.-C. (B. Lambat)

Nous pouvons retrouver ce type de supplice dans les écrits de Dion Cassius et de Tacite, au moment de la de la prise de Londinium par Boudicca, dans la Bretagne insulaire en 60-61 ap. J.-C. :

« il vaut mieux tomber en braves sur le champ de bataille que d’être pris pour être empalés, pour se voir arracher les entrailles, pour être transpercés de pieux enflammés, pour périr consumés dans l’eau bouillante, comme si nous étions tombés parmi des bêtes sauvages, sans lois et sans dieux »

Dion Cassius, Histoire romaine, 62, 2.

Tacite nous cite aussi les supplices faits par les bretons sur les romains :

« Ils se hâtaient d’employer le glaive, le gibet, le feu, la croix, comme s’il s’était agi, pendant un  temps, d’une vengeance anticipée pour un supplice qui leur aurait rendu ».
Tacite, Annales XIV, 33.

Ici, ces sacrifices ne sont pas voués à Esus, mais à une déesse de la victoire : Andrasté. Elle préside donc à la guerre, ou tout du moins à ses bénéfices, comme Esus. Toutefois, Esus reste le plus populaire en Gaule.

Sinon, dans les écrits, nous retrouvons les différentes méthodes de sacrifices traditionnels celtes, dont ceux qui nous intéressent : La croix et le gibet. Nous avons même des précisions sur les mises à mort qui peuvent leurs correspondre : « Les entrailles arrachées » ou « transpercés de pieux enflammés ».

La seconde option paraît être la meilleure puisqu'elle nous rapproche sensiblement de certains rites sanguinaires germaniques. Les civilisations celtes et germaniques étaient très proches, d'autant plus que c'étaient des populations belges, proches des germains, qui vivaient à Fesques. Il n'est donc pas rare d'y voir des similitudes.

Ainsi, dans les rites germaniques du culte d'Odin, on sacrifiait un homme en le pendant aux arbres et en le perçant d'une lance. La victime mourait ainsi vidée de son sang, répandu au pied de l'arbre.

Plusieurs textes font mention de cette pratique, dont la Gautreks-Saga, où le roi Wikar, vaincu et prisonnier, a été immolé de cette manière à Odin. Dans L'Ynglinga-Saga, un autre roi aurait également fait subir ce châtiment à ses propres fils, dans le bois sacré d'Upsala, afin qu'Odin lui accorde de prolonger sa propre vie. Selon Adam de Brème, des hommes et des animaux on d'ailleurs été réellement pendus et sacrifiés dans ce bois sacré. Odin lui même se sacrifie de cette façon dans l'objectif de découvrir le secret des runes :
« Je sais que je pendais sur l'arbre agité par le vent, neuf nuits durant, blessé par la javeline, voué à Odin, moi-même à moi-même ».

Extrait du Hávamál.


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Figure 10 : Odin se sacrifie à lui-même en se suspendant à son arbre, Yggdrasil, et en se perçant de sa lance, Gungnir, dans le but de découvrir le secret des runes. (F. Stassen, 1869).

Cet épisode est tellement caractéristique de la vie d'Odin qu'on le surnomme le « dieu au gibet », et qu'il est souvent représenté près d'une de ces potences.

Cependant, ce n'est pas Odin le dieu de Fesques, mais bel et bien Esus, un dieu celte.

Selon Lucain, il est l'un des trois dieux souverains des gaulois avec Taranis et Teutatès. Esus est surtout connu parce qu'il est figuré sur le pilier des Nautes retrouvé sous Notre-Dame-de-Paris, ainsi que sur une stèle en relief découverte à Trèves, en Allemagne. Sur ces représentations, Esus n'est pas montré près d'un gibet, ou pendu à un arbre, mais plutôt entrain de couper un arbre ou ses rameaux, tel un bûcheron. Cachés dans la forêt près de l'arbre, ou même dans l'arbre, se trouvent un taureau et trois grues qui forme ensemble une divinité appelée Tarvos Trigaranus (littéralement « le taureau aux trois grues »). Ce taureau semble se cacher du divin bûcheron parti à sa recherche et les trois grues le guide dans les bois.
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Figure 11 : Représentation d'Esus sur un bas-relief du Pilier des Nautes, découvert sous Notre-Dame de Paris au XVIIIe siècle. (Musée de Cluny)

Figure 12 : Représentation de Tarvos Trigaranus sur le Pilier des Nautes. (Musée de Cluny)

Figure 13 : Représentation d'Esus et de Tarvos Trigaranus sur un bas-relief retrouvé à Trèves.


Sur ces épigraphies, Esus coupe l'arbre soit avec une vouge, soit avec une sorte de hache à long manche. Il se figure qu'un petit artefact retrouvé sur le sanctuaire ressemble beaucoup à cette hache. Cet artefact est en argent, il mesure 24 mm et il comporte huit petits cercles incisés : cinq sur le talon, trois sur le manche. Cet objet n'est pas unique puisque d'autres exemplaires similaires ont été trouvés dans les régions proches de Fesques : Quatre en bronze sur le site de Cracouville, au Vieil-Evreux, dans l'Eure, ainsi qu'une autre, en fer, à Morvilliers-Saint-Saturnin, dans la Somme. D'autres encore sont recensés dans le reste de la France et en Europe. Serait-ce donc un symbole de foi envers le dieu Esus ? Tout comme les pendentifs de Mjöllnir le sont envers Thor ?

Parmi les haches miniatures retrouvées en Suisse, il est dit qu'elles sont parfois associées à Mars. Cela tend donc à confirmer le fait que notre sanctuaire de Fesques fut dédié à Esus, très souvent affilié au dieu belliqueux des romains.
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Figure 14 : Artefact découvert au sanctuaire de Fesques. (E.Mantel, 1997)

Néanmoins, ces représentations d'Esus, de l'arbre, du taureau et des trois grues sont difficiles à interpréter étant donné que l'on a perdu le mythe celte d'origine. Même en comparant les éléments à notre disposition avec d'autres contes et légendes des folklores indo-européens, il est difficile d'entrevoir la réelle place d'Esus dans le panthéon gaulois et les mythes qui racontent son histoire.
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Figure 15 : Photo de la fouille des deux fana sur le sanctuaire. (E.Mantel, 1997)
Figure 16 : Photo aérienne du sanctuaire de Fesque. Nous pouvons voir le tracé de l'aire sacrée sur la colline. (E.Mantel, 1997)


Sources :


  • Coll. Dir. E. Mantel, Le sanctuaire de Fesques, Nord Ouest Archéologie N°8, 1997.



  • Echtra Nerai « les aventures de Nera », éd. Kuno Meyer, in Revue Celtique 10, p.214.



  • F. Le Roux, C.-J. Guyonvarc'h, Les Druides, Ouest France, 1986, p. 258.



  • Dion Cassius,Histoire Romaine, Tome 9, Livre 62, alinéa 6 et 7.



  • Tacite, Annales XIV, 33.



  • César, De Bello Gallico



  • Lucain, La guerre civile (Pharsale), Traduction de : A. Bourgery, 1926, Paris, Les Belles Lettres.



  • Scholies bernoises sur Lucain, La guerre civile.



  • Paul-Marie Duval, « Teutates, Esus, Taranis », Travaux sur la Gaule, Rome, 1989, p. 276-277.



  • Paul-Marie Duval, « Esus et ses outils sur les bas-reliefs à Trêves et à Paris », Travaux sur la Gaule, Rome, 1989, p. 463-470.



  • C. Guyonvarc'h, Le sacrifice dans la tradition celtique, éd. Armeline, Brest, 2005.



  • Régis Boyer,  L'Edda Poétique, Fayard, 1992.
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Message par Snaiwa Lun 18 Mar - 4:09

Très bon article et très intéressant merci.
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Message par KAΛ Lun 18 Mar - 20:35

Merci !
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Message par PENDARAN DYVED Sam 13 Avr - 14:51

Merci pour ton travail
Penses tu faire un exposé sur le site de Briga près du Tréport ?

PENDARAN DYVED

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Message par KAΛ Sam 13 Avr - 21:04

Oui, exactement, c'est un site normand très intéressant.
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